Les effets de la loi sur les 35 heures ne sont sans doute pas encore perceptibles. Dans le cas d'un retour de la croissance, il est probable que cette loi nous montrera ses excès. Il pourrait en être ainsi quand on regarde notre histoire et la réduction du temps de travail de 48 heures à 40 heures au début du XXéme siècle dont les effets néfastes se sont révèlés 35 ans plus tard, lors de la reprise économique de 1936. Je vous livre cet extrait de note de l'Institut Supérieur du Travail sur cet épisode historique, elle ne manque pas d'alimenter la réflexion sur les conséquences des 35 heures.
J'apporterai cependant un bémol à cette leçon de l'histoire; notre macro environnement est substantiellement différent avec la mondialisation, la délocalisation. En France, ne l'oublions pas, les premiers handicaps à notre productivité sont le poids des charges sociales, des taxes de notre lourdeur administrative. Les 35 heures ne sont pas encore un problème d'actualité, ne nous y trompons pas. Et surtout, séparons bien le discours politique du discours économique.
Réduction du temps de travail : le précédent des 40 heures, en 1936
Au lendemain du Front populaire qui décréta les 40 heures, il fallut assouplir la loi sur les 40 heures. Un retour sur le passé est instructif.
- Les 40 heures, une revendication syndicale -
Dès la fin du XIXème siècle, pour justifier la revendication des 8 heures qui prenait mal dans les milieux ouvriers, les militants syndicaux faisaient valoir que la diminution de la durée du travail entraînerait une diminution du chômage puisquil faudrait plus dhommes pour fournir la même quantité de travail, chacun deux travaillant deux ou trois heures de moins par jour.
« L Assiette au beurre » du 28 avril 1906
Mais cest surtout avec la grande crise économique de 1931-1935 que lon vit fleurir largument. Que disaient Jouhaux et ses camarades pour justifier leur revendication de la semaine de quarante heures ? Que la quantité de travail nécessaire pour assurer la production était limitée et que, du fait du développement du machinisme, elle ne cesserait que diminuer, si bien que si lon voulait que chacun eût sa part de travail, il fallait limiter la part de chacun. En enlevant à tous huit heures de travail par semaine, on ferait de la place dans les ateliers à des centaines de milliers de travailleurs alors sans emploi, même si lon estimait généralement que la diminution de la durée du travail entraînerait une diminution de la fatigue des ouvriers et donc une augmentation significative de leur rendement horaire (on parlait peu alors de productivité) ce qui était de nature à limiter quelque peu le coût du passage aux 40 heures.
Léon Blum adopta sans hésitation ce raisonnement. Il était convaincu, il la dit au procès qui lui fut intenté à Riom, quen moyenne on ne travaillait même pas quarante heures en France. Les statistiques -moins fiables peut-être que celles daujourdhui- donnaient une moyenne inférieure sans doute aux quarante-huit heures officielles, mais supérieure de quatre ou cinq heures aux quarante heures revendiquées. A son procès Blum, pour justifier sa politique, a fait état dune conversation quon lui aurait rapportée et au cours de laquelle Louis Renault aurait déclaré quil serait heureux sil pouvait seulement donner trente heures de travail à ses ouvriers. Ce fut donc en toute innocence, en toute ignorance quon alla aux quarante heures -dont lapplication commença dans la métallurgie le 15 novembre 1936.
- Difficultés économiques, dérogations à la loi -
Ce fut la catastrophe. Au moment où la reprise économique, sensible depuis la fin de 1935, samplifiait, où les entreprises recommençaient à tourner à plein, la réduction du temps de travail fit quon manquât de main duvre. En particulier, on manqua de main duvre qualifiée, et quand on ne peut pas embaucher douvriers qualifiés, on ne peut pas non plus embaucher les manuvres ou les O.S. comme on ne disait pas encore qui accompagnent les ouvriers qualifiés dans leur travail. On avait compté comme si tout ouvrier en valait un autre, comme si pouvait demander à nimporte qui de faire nimporte quel ouvrage. Ce nest pas parce quon a des couturières en surnombre quon va combler le déficit dinfirmières ! En tout cas, on ne le comblera pas ainsi tout de suite : il faudra le temps dapprendre à un certain nombre de couturières le métier dinfirmières.
Bref, au lieu de faire disparaître le chômage qui commençait à se résorber, la mise en pratique des quarante heures le fit repartir à la hausse. On fut obligé den venir à prendre tel décret qui, comme celui du 21 décembre 1937, portait « dérogation exceptionnelle dans les industries assujetties à la loi sur la semaine de quarante heures qui souffrent dune insuffisance de main duvre qualifiée » ou leur accordait « un crédit exceptionnel de soixante quinze heures supplémentaires par an au maximum », ou comme celui du 12 novembre 1938 qui autorisait « les chefs détablissement à faire exécuter les heures supplémentaires nécessaires pour faire face à un surcroît de travail dans la limite de cinquante heures, après simple préavis adressé à linspecteur du travail », lequel était autorisé à son tour à accorder « par tranche de quarante heures, le renouvellement de lautorisation accorder à lalinéa précédent ». Car la loi du 21 juin 1936, dans sa beauté dépure, navait pas prévu les heures supplémentaires.
Des heures supplémentaires, quand il y a tant de chômeurs ! Mais vous ny pensez pas !
- Les raisons de léchec -
La politique économique du Front populaire, dont lidée majeure était de provoquer le redémarrage de léconomie par lélévation du pouvoir dachat des masses aurait sans doute, la dévaluation aidant, résisté aux congés payés, à laccroissement massif des salaires et à linflation qui résulta de ce renchérissement brutal de la main duvre, si dans le même temps où lon stimulait la consommation, on navait pas freiné la production en réduisant brutalement la durée du travail.
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